Les boules à zéro

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Numéro 3

Texte d'archive:


Archivé de: Honcho – Numéro 3
Date de parution originale: Février 1995

Date de publication/archivage: 2015-02-06

Auteur: Jean
Titre: Les boules à zéro
Rubrique: Écrits lubriques

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Ce texte a été lu 9149 fois depuis sa publication (* ou depuis juin 2013 si le texte a été publié antérieurement)


Je m'attendais ce jeudi-là, quand le beau Serge débarqua chez nous en perm, à ce qu'il soit très déçu de ne pas y trouver ma sœur Marie-Jo. sa fiancée ; mais il n'en fut rien ! Après qu'il eut appris qu'elle avait décroché un stage à Paris pour toute la semaine et qu'elle ne rentrerait que le lendemain soir, curieusement il me sembla même assez soulagé... Il lui passa un coup de fil, roucoula pour la forme dix minutes avec elle, puis jusqu'au retour de l'absente la question ne revint pas sur le tapis. Intrigué, alors, je l'observai pendant le repas du soir, et comme jamais peut-être je n'avais encore osé le faire.

Il faut dire en effet que le beau Serge, je m’en méfiais depuis longtemps, depuis bien avant qu’il ne jette son dévolu sur mon aînée, et que la perspective de l’avoir un jour pour beauf n’y changeait rien : mon problème avec lui était qu'il avait apparemment tout ce qu'il faut là ou il faut pour déchaîner chez moi les accès de fièvre les moins avouables, que depuis six ou sept ans, chaque fois que je le voyais torse nu au boulot, sur ses chantiers, ou juste couvert de son maillot rouge à la piscine, je me payais même les érections à en avoir des crampes.... et que le salopart non seulement faisait profession d'avoir un fort penchant pour les jupons, mais aussi, hélas, nourrissait à l'endroit des homos une antipathie viscérale.

Crâne rasé, tout de vert kaki vêtu, le grand beau Serge, ce jeudi-là, me parut plus séduisant encore que d'ordinaire. du fait de l'inquiétude et de la nervosité qui visiblement l'habitaient. C'étaient toujours, sous son front de blond buté et ses arcades sourcilières trop prononcées, le même regard d'acier vachard, un air à ne pas se laisser marcher sur les pieds que renforçaient ses larges mâchoires sans barbe et son menton bien volontaires sous sa petite bouche aux lèvres presque inexistantes : c'étaient toujours ces vastes épaules de perchiste taillées pour recevoir les galons et les médailles, toujours ces pectoraux aussi gonflés qu'imberbes qui mettaient à dure épreuve les boutons de sa chemise : mais, tandis que ma mère servait et que le père, si fier d'un futur gendre que tentait le métier des armes, lui faisait continûment la conversation, je remarquai que le gars n’affichait plus la belle morgue et l'assurance goguenarde qui lui étaient en temps normal si personnelles. J'entendais même, sous la table, le martèlement qu'assénaient au carrelage de la cuisine les claquettes excédées que ses godillots de gros cuir exécutaient comme malgré lui... Vers la fin du dîner, enfin, alors que mes parents s'étaient absentés tous deux à la cave en quête de je ne sais plus quelle boîte ou quelle bouteille introuvable, j'essuyai l’expression de son agressivité.

Sa voix forte, au parler un peu rustre, laissa fuser ces quelques mots à la façon d'une rafale :

— T'as fini de m'mater comme ça, toi, c’soir ? Tu veux ma photo, ou quoi ?

— J'te mate pas ! j'ai protesté. (La mauvaise foi dans de pareilles circonstances ne m’a jamais posé de cas de conscience).

— J'tai déjà prévenu, Nicou ! Tes p’t-être connu pour être une jolie p'tite salope dans tout l'bourg et jusque dans les environs, au point qu'maintenant tout le monde s'en fout même ta famille, mais avec moi, beau-frère ou pas beau-frère, t'as intérêt à numéroter tes abattis avant de prendre des risques : fais gaffe où tu poses les yeux !... Tu sais qu'les pédales j'peux pas les encaisser !

Je me le tins pour dit une fois pour toutes (l'éclat, heureusement, comme le père et la mère n'étaient pas dans la pièce, n'avait pas fait de remous), je ne regardai plus le beau Serge jusqu'à la fin du repas, conformément à ce qui toujours avait été mon habitude avant, et je crois qu'après le dessert et la soirée télé bien arrosée de calva, je fus de nous tous le premier à monter me coucher.

C'est vers minuit, quand on procéda à l'extinction des feux et que j'entendis le permissionnaire, de son allure pesante de bovidé, gravir notre escalier pour aller s'enfermer dans la chambre de Marie-Jo voisine de la mienne, que j'eus en quelque sorte un pressentiment : je fus tout à coup presque sûr qu'il allait frapper à ma porte, comme d'habitude légèrement schlass à cette heure... Serge avait l'air si préocupé que c'était certain : il allait cherche à soulager son malaise auprès de quelqu'un — pourquoi pas moi, puisqu'après m'avoir vertement semoncé, il devait être à peu près convaincu que je saurais m'en tenir malgré mon sens de l'opportunité à un rôle d'un total attentisme ! Trois petits coups furent bien frappés à ma porte, et j'allai ouvrir en pyjama, un détail qui peut-être engagea mon beau Serge à penser qu'il ne s'était pas fourvoyé.

— Ah. tu dormais ?... fit-il. Je ne voulais pas te réveiller.

Il avait l'air si piteux, à ce moment-là, que du haut de mes dix-huit ans je devinai que je pouvais maîtriser la situation, et, en feignant l'air endormi pour circonvenir ses dernières préventions homophobes, j’essayai de paraître à l'aise entre deux montées de salive intempestives.

— Entre ! dis-je. On voit bien qu'quelque chose te tracasse... Ça ne vas pas ? Tu n'veux plus d'Marie-Jo ?

En confiance, le beau Serge s'introduisit chez moi et s'assit sur mon lit. Et là, il commença par ces mots :

— J’suis sûr qu’un mec comme toi, avec l'expérience que tu dois avoir d'ces choses... ça peut m’aider !

Le problème, quand je sus toute l'affaire, se résumait en fait à quelque chose de si risible qu'il me vint l'envie de rire et que je la réprimai à grand peine, malgré le parti que je pris immédiatement de tenter de l'exploiter.

Le beau Serge, dix jours plut tôt, s’était laissé entraîner dans de mauvais lieux par des copains de chambrée, et, tout bêtement, avait choppé ses premiers morpions — qu'il appelait pudiquement "visiteurs" !... Il avait beau compter vingt-et-un printemps, rouler les mécaniques avec sa musculature de taureau et se donner des airs de terreur des ménages : non seulement, en vertu de ses principes militaires, le monsieur avait honte d'avoir fauté vis-à-vis de ma frangine et de s'être naturellement laissé "punir", comme il disait (on a gardé par chez lui un côté très cul-béni !), mais sa cervelle était aussi trop peu pourvue en matière grise pour s'être représentée la "visite" de ses parasites autrement que sous l'aspect d'une affreuses maladies, contagieuse et incurable !

Vrai, je tombai des nues, car jamais, en l'écoutant ou en le voyant faire, je ne l'avais cru à ce point nigaud !

— T'en as déjà eues, toi, d'ces saloperies ? s'inquiétait-il. Tu crois qu'ça s'en va complètement ?... Oh ? Rien qu’avec de la poudre ? Du D.D.T. ?... Cinq-six Jours ? Mais mon pauvre ! Avec la Marie-Jo qui va rappliquer demain et m'sauter au paf aussi sec !... Pa’ce qu’y faut pas lui en promettre, à ta soeur, c’est comme toi, ça doit être de famille : pas question de faire la grève ! Ni l’coup d’la panne !

On le voit, ce fut un jeu d'enfant pour moi que de placer l'idée que j'avais depuis le début en tète :

— Je n’vois qu’une solution pour être sûr d'être débarrassé demain et ne rien r'filer à Marie-Jo : c’est d’tout raser ! T'raser les poils du cul et ceux des couilles !

— Tout raser ?

Le sang du beau Serge ne fit qu'un

— Et Marie-Jo ?... Marie-Jo va m’poser des questions !

— D'abord, dis-je (sans doute inspiré par le Mâlin), un homme de ta trempe ne se laisse pas poser par une simple femelle les questions qui l’dérangent !...

— Ah. c’est vrai, ça, Nicou : t’as raison ! aquiesça-t-il avec une bêtise épaisse, flatté dans sa fibre macho et presque admiratif à mon égard.

— ... Puis pour une fois, tu lui imposeras d’faire ça dans le noir en disant qu’ça t’excite davantage : un fantasme, quoi ! Elle marchera, c’est du tout cuit. Tu la laisses quelquefois te toucher les fesses, la Marie-Jo ?

— Les fesses ? T'es marteau, toi ! J’suis pas une gonzesse ! (Je doutai à ce stade-là que sa connerie ne fût pas sur tous les points désespérément incommensurables !).

— Et la queue ?.... La tienne, oui : elle te la touche ?

— Jamais. J’lui interdis. J’pense qu'une femme digne, à plus forte raison la future mère de mes enfants, n’a pas à s'permettre des gestes de putain... Déjà bien beau qu'on les leur foute au bon endroit, nos engins, tu crois pas ? Et pas toujours des plus moches, si tu vois à qui j'pense !

— Non, Je n’vois pas, fis-je avec innocence.

— Eh ! À mézigue, couillon ! C'est bibi qui passe pour l'mieux monté d'toute la chambrée !...

Je me fis la réflexion qu'il était tout de même déplorable que mon aînée, Marie-Jo, n'eût jamais été du genre assez curieux, mais éludai de ma lamenter sur son sort : nounouille, coincé, présomptueux et (d’après ce qu'il disait) bien pourvu, le cas du beau Serge m'ouvrait des perspectives infiniment plus réjouissantes, ne fût-ce que pour des réjouissances toutes platoniques.

— Donc, la Marie-Jo n’y verra qu'du feu ! repris-je en Sherlock Holmes, sans paraître avoir fait attention à la nature particulière des vantardises de mon interlocuteur. Plus qu’un problème : te mettre au boulot illico avec un rasoir mécanique ! Mais en ouvrant l'œil et le bon ! Parce que crois-en c'que j’en ai entendu dire ici et là autour de moi : si on n'a jamais vu d'mecs se couper les couilles en s’les rasant, en revanche on en a vu plus d'un s'égratigner par maladresse, qu'on a retrouvés le lendemain raides morts, vidés d'leur sang !

Le beau Serge blêmit :

— Moi qui sais déjà pas m'raser l’menton sans m'balafrer !...

— À toi d’voir... conclus-je tout content du succès de mon stratagème. Si tu veux m’léguer après ça tes bijoux d'famille, j'suis preneur pour ma collec' : c'est l'genre de recel posthume que loi doit autoriser...

Je ne me fatiguai pas plus pour amener le permissionnaire à l’étape qui m’intéressait : avec les couleurs, l'idée lui vint toute seule !

— Nicou ! Toi qu'es coiffeur !... Avec tes p'tits doigts de fée, j'suis sûr que tu vas savoir me faire ça comme personne !...

Je dus me forcer, mais je réussis à faire le difficile :

— Oh, tu sais : dans un salon de coiffure pour dames, j'ai pas souvent l’occasion d'faire la barbe à une zigounette, ni à une paire de fesses... Puis ça n’te gênerait pas, toi, un bel hétéro pur et dur, de t'retrouver à poil devant une sale petite traînée d’tantouze comme ton futur beau-frère Nicou, et d’le laisser t’mater sous toutes les coutures ?...

Comme il se désapalt déjà, je crus qu'il ne m'avait pas bien écouté ; je me trompais.

— Nicou, me répondit-il en envoyant en l'air sa veste de treillis, j’suis dans la merde ! J'te promets d’toujours te respecter à l'avenir si tu fais tout ce qu'y faut pour m'tirer d’ce mauvais pas !

— Eh ! aurais-je pu me dire à ce moment-là. Quand l'esprit vient aux beaufs !...

Mais vrai, ah, quand je vis sous mon nez ce que le sacré bougre avait à déballer comme marchandise réservée aux dames, je pensai à autre chose qu'à l'esprit !...

Ouh, Dieu de Dieu ! De ma vie, je le jure, de ma vie — et j'en avais déjà vu défiler pas mal ! — je n'avais eu devant les yeux de pareils morceaux !... Une queue !!!.... Et des couilles !!!... Je ne mens pas : des parties qu'on aurait remarquées à un cheval sans les trouver trop disproportionnées ! Alors pour un homme !... Un braquemart et des bourses quasi monstrueux !... Heureusement, la beauté de leur forme pleine, la fermeté de leur volume (il faut me croire) rendaient le prodige malgré tout admirable !

— Crédié ! m’exclamal-je en mon for intérieur. Sait au moins c'qu'est bon, l'ainée, si elle n'est point curieuse ! L'a fait l’bon choix !... La qualité qui vous fait d'l'usage, nom d'un chien !... Je ne salivais plus : je restai bouche bée, interdit, comme stupide !

Une chance, en un sens, le beau Serge m'avait rapidement tourné le dos sans prendre note de l’expression extatique qui venait de m'empourprer toute la face, et, tout nu, sportivement, avec une résolution toute militaire, avait déjà pris position sur mon lit. à quatre pattes, comme un fauve à l'affût.

— On commence par quoi ? demandai-je le temps de ma remettre (et, par précaution, avant d'aller chercher le matériel nécessaire, j'allai fermer ma porte à double tour).

— À ton avis ? rétorqua mon patient, d'une voix mal assurée. Qu'est-ce que j'te présente, là, au fond ? Ma luette ?

Je fis semblant à mon tour de n'avoir envie que de plaisanter :

— J'ai l'choix, mon vieux ! Avec le paquet qui t'descend entre les cuisses, j'suis pas obligé d'attaquer par le fion...

— Attaque par où tu veux, me fut-il répondu, mais applique-toi !

Je risquai une question osée :

— J'peux t'prendre les couilles dans la main, pour les raser ?

— Ben oui, entendis-je, c’est pas d'la porcelaine, y a pas marqué d'ssus haut et bas : ça va pas casser !... Z'ont d'ces questions, les pédoques : ça doit être gentil, quand vous faites la chose entre vous ! C'que vous d'vez avoir l'air cloche, si ça s'passe comme ça !

Je lui empoignai donc les testicules, deux œufs de cane, ou pas loin, dans une escarcelle de daim : pour la forme, pudique, mon beau Serge, lui, sursauta un brin en faisant Sfff !... ; je passai le rasoir dessus après les avoir couverts de mousse neigeuse ; et tout en estimant le poids dans ma paume comblée, tout en admirant le réseau de veinules bleues et violettes sous la peau délicate, j’en ratissai les poils blonds.

De la mousse s'étant glissée jusqu'au fond du bel anus luisant, froncé comme un capiton sans bouton, je me permis d'aller l'en retirer du bout de l'index histoire de voir quel type de réaction le geste allait m'attirer, après que cet athlète superbe et généreux, aux bras tendus dont les muscles se nouaient de façon très esthétique dans l'étirement, eut paru pendant le rasage de ses couilles d'une patience et d'une sérénité qui ressemblaient fort, ma foi, à du ravissement pur et simple.

Il y eut bien un réflexe, mais pas celui auquel je m'attendais. Sa voix, pour le coup, me parut presque douce :

— T'attaques le cul ?

— Ouais, t'inquiète ! dis-je, en m'efforçant au ton le plus viril possible.

— J'm’inquiète pas. fut sa repartie. Tout gosse, quand ma mère s'occupait d'cet endroit-là pour m'torcher, j'adorais... C'est dingue, ça, non ?... Ça m'excitait !... Si j'avais pu bander à c't âge-là, j'aurais bandé...

— ... Puis t’aurais r'çu un moche d'aller-retour, si tu veux mon avis ! En t'faisant traiter de p’tit saligaud et d'sacré dégoûtant !... Une histoire qui s’s'rait terminée en maison de correction, ça !

Y avait-il eu provoc de sa part ? J'ironisai ensuite en promenant mon doigt sur les bords de son trou :

— Mais avec moi, Serge ? Avec moi ?... Tu n’vas pas bander, quand même ?...

Il ne répondait pas, rit longtemps, goguenard, d’une rire blanc, en secouant ses lourdes épaules râblées, et en un beau mouvement destiné à cambrer plus encore ses reins couverts d'un duvet blond, me tendit son cul comme seuls savent le faire les balèzes, ceux qu’on appelle les durs, tous les loubards, motards et routiers que j'ai vus se retourner mieux que des crêpes, avec autant de virilité que de gourmandise — leur petit cul bien ferme, au trou étroit, tous savent, parce que c'est le plus secret, le plus tabou, que c'est ce qu’ils ont de plus beau et de plus excitant ! Certes, je ne me risquai pas à attarder une autre fois, plus longtemps et plus profondément, mon index au fond de sa raie : je me bornai à en débroussailler à fleur de peau les pourtours : mais tandis que sous la lame tiède et caressante, sa peau blanche et humide, comme nacrée, apparaissait dans une nudité, une fragilité et une innocence qu'il me plaisait de trouver virginales, je sentais les muscles et les nerfs de ce corps monumental frémir de plaisir par spasmes brefs, brutaux, incontrôlés, et je voyais sa peau devenir chair de poule.

— J'ai fini l'cul, dis-je, à court de voix et de salive.

— Ah oui ? me répondit-il après un curieux temps de réflexion. Tu veux faire le devant, alors ?...

— Ben... c'est toi qui vois. Serge ! osai-je jouer.

Il eut avant de se retourner quelques mots qu'il parut avoir volés à un gamin de dix ans pris en faute, mais le, sourire que je lui découvris tout de suite après m’apprit qu'il n'y avait pas eu tant de candeur que ça dans son esprit au moment de les prononcer :

— Euh... Tu t'choqueras pas, Nicou ? J'y peux rien, mais comme tous les bons queutards j’suis sensible des parties : ça m'excite malgré moi, ta séance de rasage !

— Ah !

Je ne réfléchis pas longtemps à ses scrupules, au beau Serge ! Quand il fut allongé sur le dos, son bas-ventre arborait un tel bâton de chaise, un tel pieu, dressé jusqu'à quelques vingt-cinq centimètres de hauteur ou pas loin, congestionné au point de sembler à dix secondes de tout lâcher, une giclée triomphale en geyser au-dessus de son gland plein à craquer, quasiment gros et dur comme un brugnon encore vert, que je ne suis que m’émerveiller à haute voix sans plus penser à qui j'avais affaire :

— Ah ben dis donc, toi !... Ah dis donc !

La fierté rendait rose de plaisir mon beau Serge, et, pour en finir avec un soupçon de confusion (ce devait tout de même être la première fois qu'il se trouvait dans un tel état devant un pédé et l’ivresse n'excuse pas tout !), il releva ses beaux bras d'Hercule en montrant sur ses aisselles de gymnastes de larges touffes couleur foin et croisa ses mains sous sa nuque, finalement tout faraud :

— Ten avais jamais vue d'pareille, hein ? Avoue ! C'est un sacré engin, non ? J't'ai dit : l'mieux monté d'la chambrée ! Tous les gars m'jalousent ! Y en a même qui font des complexes !

Jugeant de mon silence ébahi, il éclata d'un grand rire resplendissant :

— Bon, tu liquides la motte du d'ssus ? Tu m'finis ça comme t'as commencé, ou j'débande ?

— Ah non, débande pas ! lui dis-je en retrouvant ma voix et ma faculté de déglutir. C'est trop beau !... J'peux la prendre dans ma main, pour l’écarter? J’veux pas t'couper...

Il cessa de rire, son visage prit une expression grave où seule était de nature à me rassurer la coquinerie un peu rieuse de son regard, et :

— Bah oui, dit-il c'est pas un objet sacré !

Je ravalai ma salive avec difficulté en approchant mes doigts, ce qu'il entendit :

— T'aimerais la lécher et la sucer, pas vrai ?... (Son rire retentit encore !). Eh ! Je m'doute bien qu'ça t'fait quelque chose de pouvoir la toucher, va... Je m'doute bien... Ben vas-y : touche ! Qu’est-ce que t'attends ?... Seulement avec les doigts, hein : attention !

Et je la touchai alors comme j'aurais touché un nouveau-né, avec autant d'émoi et de précautions...

Tandis que je finissais mon œuvre, en silence nous regardâmes ensemble avec une sorte de recueillement le spectacle extraordinaire de cette énorme bite en érection, comme si c'eût en effet été un objet d'art, un bien précieux digne d'honorer une religion.

Serge, quand j'eus terminé, n'avait pas débandé, mais aussitôt que débarrassé du dernier poil qui lui restait sur le bas-ventre, sauta sur ses vêtements pour les réenfiler.

Toujours rouge, il titubait, mais son regard égrillard et son sourire moqueur en coin m'assuraient que l'alcool n'était pas seul en cause : son petit numéro d'exhibitionnisme l'avait à l'évidence grisé jusqu’au trouble.

Avant de quitter ma chambre, il me posa l'une de ses grandes paluches

— Nicou, j'suis fier de toi !

— Fier de moi ?... m'interrogeai-je.

— C'est bien : t'as pas craqué ! Même pas essayé d’profiter d'la situation... Tu vois : j'aurais pas cru ! J’tenais même mon poing prêt pour t'l'écraser sur sa p'tite gueule d’amour, au cas où ! T'es un pote, maintenant, un vrai. J'ai du respect pour toi, mec, sans blague.

Et il sortit de ma chambre.

Pas craqué peut-être ; mais pas essayé de profiter de la situation ? Oh que si : j'en avais profité, et comment !!! Je n'avais pas eu avant et je n'ai pas eu depuis de si beaux spectacles à me mettre sous les yeux : j'aurais donc tort, en l'occurence, de regretter de ne pas avoir eu droit à plus ! D'abord il ne faut pas, à mon avis, mêler les genres (il y a trop de beautés, l'expérience me l’a enseigné après aussi bien que ce soir-là, qui gagnent à n'être qu'admirées : mieux vaut ne pas se montrer trop curieux de l’envers du miroir, si souvent décevant) : et qui sait si le beau Serge, que ma sœur a fini par répudier avant le mariage (c'est un indice non-négligeable), savait se servir de son matériel aussi bien que donner envie de le contempler et que l'exhiber.

Celui des deux qui a craqué après la séance d'épilation, je sais bien, moi, lequel c'est ! Les cloisons sont si minces, chez nous !... Ah, si je l'ai entendu gémir, grogner et couiner, le beau Serge, tandis qu’il malmenait les ressorts du lit d'à côté, et faisait se cogner le montant au mur, râcler le parquet de la chambre aux vieux pieds de fer forgé !... Près d'une heure, qu'il s'est astiqué tout seul sous ses draps comme un couillon — près d’une heure, avant de jouir en beuglant comme un damné !... Heureusement que les parents dorment au rez-de-chaussée ! je me suis dit.

Mais vous savez quoi ? Eh ben c’est pas celle-là, la dernière réflexion que je me suis faite de mon côté en l'écoutant prendre son pied, le beau Serge ! La dernière que je me suis faite pour m’endormir sans regrets, du sommeil du juste, c'est celle-là :

— Un peine-à-jouir, le beau Serge... P't-être bien un peine-à-jouir, finalement !

Jean Drouet